• Chronique d'une obscurité annoncée (7)

    Des situations de la sorte, il s’en est passé des dizaines, et des dizaines et peut-être même plus. Je crois que la chose essentielle était ces chauds froids permanents. Cette mise en danger perpétuelle, la menace d’abandon couplée à la promesse d’un futur meilleur. J’avais le sentiment de tout avoir à perdre si je le perdais lui.

    D’autant que peu à peu, le vide se faisait autour de moi et mon monde, mes relations se rétrécissaient à son monde, à ses relations.

    Je crois que ce qui a accéléré le processus c’est que ses parents nous ont découverts. Étape cocasse, que cette première rencontre avec mes futurs beaux-parents !

    Un soir, nous étions déjà couchés, l’interphone résonne dans l’appartement. Le frère va s’en enquérir et donne l’alerte ! Les parents débarquent avec l’autre frère venu de Paris. Grande panique, rhabillage, re coiffage approximatif. Je suggère de rester dans la chambre le temps de leur visite, il hésite un instant et refuse. Par contre il me met en garde : pas la bise, pas de tutoiement et en dire le moins possible.

    Ça sonne à la porte, grande inspiration et c’est parti !

    Je découvre un couple, plus jeunes que ma mère d’une bonne dizaine d’années. Lui, assez discret, elle, plutôt bruyante et d’allure bourgeoise. On sent immédiatement qu’elle tient les rennes de son monde d’hommes. Un mari, trois fils et une femme de caractère bien trempé dirigeant ses troupes. Malgré la surprise de me trouver-là ils firent preuve d’une grande courtoisie, furent tout à fait sympathiques et le premier contact, compte tenu des circonstances se passa bien. Nous éprouvâmes quand même grand soulagement quand toute la clique s’en fut allée. D’autant que ce ne fut qu’à ce moment là qu’on prêta attention à l’étiquette apparente sur mon pull, signe manifeste de notre activité précédente.

    La présentation de mon côté avait été bien plus brève. J’étais passée un soir, prendre quelques affaires chez ma mère. Présentation sommaire, xxx, ma mère, ma sœur. Deux minutes dans l’entrée, le temps d’aller dans ma chambre et récupérer deux, trois choses et nous étions repartis. Cela suffisait amplement. Surtout que cela avait suffit à ma mère pour se faire une opinion : Il avait l’air bourgeois et comment sa fille avait-elle pu ramener un garçon de ce genre ? Genre : c’était inespéré.  

    A partir de là, j’étais l’officielle. Il était entériné que la précédente n’était plus et que j’étais la nouvelle compagne. Nous fûmes très vite invités pour le déjeuner familial, je rencontrai les grands-parents. J’étais accueillie à bras ouverts. J’étais la pièce rapportée et à ce titre je devais garder mesure, réserve et quelque distance, mais j’étais plutôt bien reçue. Ma belle-mère me laissa entendre qu’on ne me tenait pas rigueur de mes origines prolétaires et espagnoles. En le disant, elle les mettait en exergue et de fait, faisait sentir un certain malaise. Mais à l’époque que j’ai pu trouver cela valorisant d’être intégrée dans une famille « vieille France » ! J’avais l’impression, bien qu’ils fussent quelque peu désargentés, de faire mon entrée dans un autre monde. Je m’élevais socialement. Et même si ce n’était pas le but, je ne peux nier que cela me plaisait. D’autant que plus il vantait sa famille, ses valeurs, ses modes de vie, plus il dénigrait ma famille, ses valeurs, ses modes de vie, mes amies et cela sans éveiller en moi de réflexes de défense.

    Ma meilleure amie ? Elle couchait avec des marins, or nous connaissons tous la réputation des filles à marins… indigne ! et si je restais amie avec elle, c’était que j’avais la même mentalité et donc que j’étais indigne. Déjà que je ne lui consacrais plus beaucoup de temps, il n’en fallut pas beaucoup pour rompre les derniers liens.

    Il en fut de même avec une de mes sœurs puis plus tard avec ma mère.

    Toutes les relations de travail qui pouvaient devenir amicales étaient tournées en dérision, ou rendues suspectes, anéanties dès leur plus jeune stade.

    Je n’avais pas d’amis qui ne fussent issus de son cercle à lui, validés par lui et introduits encore et toujours par lui. Ainsi, je n’avais personne à qui parler puisque tous nos amis lui étaient acquis. Si j’osais essayer de dire quelque mal-être, mes propos étaient relativisés. Et puis je savais que je devais faire attention à ce que je disais car le moindre bruit pouvait m’attirer les foudres. Que j’ose le contredire en public et dès qu’on était en voiture je m’en voyais faire le reproche de manière cinglante et virulente. Que j’ose trop parler, me mettre en avant ou attirer l’attention et c’était la guerre. Que je me taise et que je sois trop discrète et il me reprochait de faire la tête, d’être désagréable. Du coup, quelles que soient mes attitudes, elles n’étaient pas conformes aux attentes, elles étaient inappropriées, elles lui faisaient honte.

    Je finissais par ne plus savoir sur quel pied danser, je ne savais plus qui j’étais, je ne me reconnaissais plus dans le miroir…

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