• chronique d'une obscurité annoncée (6)

    Pourtant rien de cela ne m’alarmait vraiment. Évidemment qu’il y avait tout à revoir chez moi. Mon attitude, mon apparence, mon éducation. Ma mère était déjà de cet avis après tout. Alors pourquoi remettre en cause la seule attitude qui pouvait conforter cette réalité ? Bien que douloureux quelque part, je devais me rendre à l’évidence. De toute façon, pour lui j’étais prête à tous les efforts requis.

    Alors, j’essayais tant bien que mal de correspondre aux injonctions. Tenue plus classique, moins d’exubérance, mais en gardant tout de même la capacité à la rigolade et au contact humain, plus d’initiatives dans l’intimité, mais sans tomber dans le vulgaire.

    Je n’avais pourtant pas encore compris que je devais aussi faire une croix sur mes idées propres. Être en couple c’est tout partager : le quotidien, la couche et les idées, toutes les idées.

    Cela m’a valu une semaine de mise à pied. Un coup de semonce, un avertissement, une mise en garde pour l’avenir.

    Son ami avait trouvé une petite amie. Une bonne petite bretonne, fille de CRS, catholique pratiquante mais d’une drôle de façon. Mais cette histoire viendra plus tard.

    Nous avons passé une soirée délicieuse. Apéritif et dîner. Nous avons beaucoup parlé et ri. Une soirée qui finit bien et qui promettait de nombreuses autres soirées. Sauf que… Durant la soirée, nous avons été de temps à autres séparés. Les hommes d’un côté, les filles de l’autre. Nous avons alors discuté de sujets variés, dont je ne me souviens pas et dont je ne me souvenais pas non plus vraiment, à l’époque. Mais quelques jours après cette soirée, voilà qu’il m’appelle et me dit que tout est fini. Que je lui ai manqué de respect ! Je l’ai fait passer pour un con ! Tout est définitivement fini ! Et puis que fallait-il espérer d’une cassos comme moi ? Forcément que je ne savais pas me comporter en société !

    Quelle déflagration ! L’expression : le ciel me tombait sur la tête, a dû être inventée pour ce sentiment. Effondrée, anéantie, rampante et souffrante. Voilà tout ce que j’étais devenue. Une ombre errante qui perdait le goût à chaque chose. J’aurais voulu sauter par la fenêtre, arrêter de respirer tant c’était douloureux. Mon cerveau était anesthésié par la peine. L’air me manquait à chaque fois que le palpitant tentait de faire tourner mon sang dans un circuit tétanisé. Je ne pouvais pas comprendre et pourtant je me disais qu’il y avait malentendu. Qu’avais-je pu dire ou faire pour mériter ces foudres ? Ma sœur tenta de me distraire, de me dissuader de quémander pardon ou explications. Pourtant je fis la sourde oreille. Je ne connaissais pas alors, la valeur et la force de notre amour fraternel. Il m’aura fallu traverser deux décennies d’obscurité pour en prendre toute la mesure. Mais pour l’heure, j’étais obsédée par cet amour passion qui me brûlait et me consumait.

    Alors j’ai fait ce qu’il ne faut jamais faire. J’ai rampé, j’ai supplié, j’ai gratté à la porte.

    J’appris alors que ma faute était d’avoir dit une chose aussi anodine que « les hommes sont égoïstes ». J’avais osé cette remarque en tête à tête avec l’autre jeune femme. Comment en était-elle arrivée à raconter cela ? Je ne connais ni le comment, ni le pourquoi. Je ne me souviens même pas de cette discussion. Pourtant me voilà une fois de plus soufflée par la violence et l’absurde de la situation et de la réaction. Et me voilà en train de me plier, de supplier, de m’expliquer. Je tournais les arguments et les attaques dans tous les sens et dans tous les contre-sens pour tâcher de lui faire entendre raison. Comment avais-je pu dire qu’il était égoïste ? Mais je ne parlais pas de lui ! Il était un homme et en manquant de respect et en dénigrant les hommes, c’est lui que je dénigrais.  Mais pourtant, et quelle que soit mon opinion sur les hommes en général, je le trouve lui unique et incomparable.

    Peu à peu la fureur s’apaise. Peut-être m’étais-je juste simplement suffisamment abaissée. Peut-être mes arguments avaient-ils fait mouche. Que sais-je si de toute façon il était disposé à me pardonner, si finalement lui-même trouvait la situation ubuesque. En tout état de cause, il finit par passer l’éponge. Non sans quelques mises en garde d’usage, et sans un passage par un rituel de magie noire.

    Oui, un rituel pseudo Voodoo… je ne sais plus les tenants et les aboutissements mais en substance j’ai passé un interrogatoire en bon et dû forme. Je devais en passer par là pour obtenir sa confiance. Il m’avait bien mise en garde qu’en cas de mensonge je tomberais malade. Qu’il l’avait pratiqué sur son ancienne petite amie et qu’après sa trahison elle avait effectivement développé des problèmes de santé.

    Aujourd’hui, cela me semble fou et dément d’avoir accepté, mais à l’époque j’aurais fait tout et n’importe quoi. Je faisais n’importe quoi pour ne pas le perdre….

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