• Chronique d'une obscurité annoncée (9)

    Une fois isolée, dès lors, nous vivions dans une espèce de huis clos. Le monde entier, toute idée, toute conception passait par son filtre. Peu à peu, même mes croyances personnelles devenaient secondaires. J’ai sans peine et longtemps sans remords, renié celle que j’étais, ce que je pensais. J’étais en quête de sens et il m’en donnait.

    J’avais toujours été attirée par la spiritualité. D’une famille anticléricale et communiste j’étais totalement ignorante des religions et cela m’intriguait. J’éprouvais quelque chose en moi que je nommais la Foi sans vraiment pouvoir dire de quoi il s’agissait. De fait, je garde au fond de moi ce sentiment de quelque chose de plus grand, de forces dans l’univers qui œuvrent dans le sens de la vie. Oui, je crois que j’ai la foi, j’ai une foi mais je ne crois plus qu’elle puisse s’exprimer par le biais d’une religion. A l’époque pourtant, il me fallait des réponses. Et puisque je pouvais en trouver des toutes faites, cela me convenait parfaitement. Je trouvais alors que la religion catholique était certainement la meilleure, puisqu’elle exprimait des choses qui résonnaient en moi. Et puis, sa famille était catholique, c’était ainsi très simple. Je dois reconnaitre que quelque spiritualité ils auraient eu, je crois que je l’aurais adoptée. Par facilité, par mimétisme, par désir d’intégration. D’ailleurs, qu’importait l’étiquette, pour moi l’essentiel était d’exprimer ce que j’avais dans le cœur. Et puis, la figure mariale, par sa pureté et son abnégation me fascinait, m’attirait, me touchait au plus haut point.

    Ceci n’est pas anodin. Ça m’a conduite à plus de patience encore, à plus de compréhension, plus de reniement personnel.

    Sa vision de la femme était assez simple en soi. Elle était tout et son contraire à la fois. Il fallait travailler mais être une maitresse de maison hors pair. Il fallait être mince mais savoir cuisiner, recevoir et profiter de la vie. Il fallait être pure et prude en public et être une catin en privé. Il fallait être mère mais épouse avant tout. Il fallait avoir des idées, mais les mêmes que les siennes, du caractère mais ne pas lui tenir tête, sociable mais avec les personnes qui seraient choisies par lui. Il entendait que je me mette à son service.

    Combien de fois n’ai-je pas subi de remarques si ses chemises n’étaient pas assez bien repassées, si les pinces de ses pantalons n’étaient pas parfaites, si je ne passais pas en temps voulu au pressing, si le ménage n’était pas fait, si je recevais alors qu’il y avait du désordre, qu’il était passé pour un con tout au long de la journée à cause d’un faux pli, et qu’il avait été ridicule parce que j’avais parlé au mauvais moment, et qu’il ne pouvait recevoir aucun client compte tenu de mon incapacité à tenir la maison, créant ainsi des ralentissements dans sa carrière… J’étais responsable de toutes ses limitations et j’étais un handicap en soi.

    Sans cesse et quels que soient mes efforts c’était toujours insuffisant.

    Mon rôle était pourtant simple :

    Ne pas porter atteinte à son honneur, n’avoir pour seul objectif que la satisfaction de ses besoins et désirs. Je me réaliserais par sa réalisation.

    Pendant de nombreuses années il m’a dit que le but était qu’il fasse carrière pour me permettre de me concentrer sur notre famille et nos enfants. N’ayant personnellement aucune ambition autre que celle de réussir ma vie de famille, cela me correspondait pleinement, me motivait et me faisait espérer un futur idéal. Je n’imaginais pas alors que pour lui, mère au foyer était synonyme d’esclavage et de prise totale de pouvoir. Le niveau d’exigence et la violence des critiques monteraient encore d’un cran lorsque je serai sans emploi. Ayant perdu toute valeur sociale, je perdais en même temps toute valeur intrinsèque.

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