• Chronique d'une obscurité annoncée (5)

    Le temps de l’attente et de la patience sont révolus.

    Cette nuit-là, les baisers sont plus insistants, les gestes plus explicites. Sous la couette ce soir, il n’y aura pas que du sommeil. Mais, je résiste et j’hésite encore. Non pas que je doute de lui, de mon désir mais parce que simplement, la première fois est impressionnante. Mais alors, si je l’aime je devrais le désirer. Et si je l’aime, je devrais lui faire confiance. Et si je l’aime, en bref, je devrais le faire. Alors, avec la gorge serrée et le ventre noué je me lance. Sans vraiment me laisser aller, je le laisser aller. Il faudra bien que ça arrive et si je ne veux pas mettre en péril le fait d’être avec lui, autant que ce soit maintenant. Je n’en avais pas vraiment envie, pas à ce moment, mais qu’importait mon désir, lui, savait. Et puis, forcément, compte tenu de mon passé, de mon éducation, qui sait si je me serais sentie prête un jour. A défaut de consentement, il eut mon acquiescement. Ce ne fut en soi pas désastreux, pas merveilleux non plus. La douleur si effrayante ne fut pas ce que je redoutais, l’échange ne fut pas non plus ce que j’en escomptais. Loin de rechercher le plaisir dès la première fois, il me semblait que j’aurais ressenti plus d’émotions, un éblouissement, un ravissement par le partage, la complicité et l’intimité naissante. Rien de cela me traversa, j’éprouvai juste le soulagement que ce soit fait.

    Je venais de lui donner ma virginité, je venais de me lier à lui à jamais. Pour moi, c’était quelque chose de symboliquement très fort. Je l’avais choisi, il serait le seul et l’unique.

    Il n’avait pas forcément le même point de vue sur ce que nous venions de partager :

    - pas assez démonstrative,

    - pas de prise d’initiatives, il faudrait que cela change.

    - et puis, si peu de sang … étais-je vraiment sûre d’être vierge ?

    J’étais assommée, abasourdie, anéantie. Je me suis sentie obligée de me justifier, de jurer Ô grand dieu que c’était ma première fois. Comme un uppercut, ça laisse un peu ko et j’étais trop surprise, trop occupée à lutter contre le sentiment de culpabilité que l’accusation avait fait naître en moi pour être outragée. Je n’ai même pas pensé à me mettre en colère. Les reproches assénés suivis de cette sentence, ce doute, cette remise en question, c’en était trop pour que je ne sois démunie.

    J’ai passé le reste de la soirée et de la nuit, recroquevillée, me demandant comment faire pour être à la hauteur, comment faire pour qu’il me fasse confiance quand quelque chose d’aussi important que notre première fois était déjà mise en doute.

    Ce ne fut qu’une première claque. D’autres allaient suivre.

    Rapidement, il m’a seriné que je n’avais pas le bon comportement. Pas le bon comportement en public, pas le bon comportement dans le privé. Trop expansive à l’extérieur, pas assez entreprenante, manquant d’assurance dans l’intimité.

    Je me rappelle un épisode qui peut paraitre anodin mais qui m’a laissée une fois de plus abasourdie, et qui est très symptomatique des remarques récurrentes qu’il m’assénait.

    Nous étions en salle informatique, en train de taper un rapport de stage pour lui. Moment sérieux mais détendu. Petit moment d’intimité, studieux mais en tête à tête puisque nous étions seuls dans la salle. Entre un des professeurs. Ils discutent, ils échangent, puis le professeur repart. A peine la porte fermée, son visage s’est transformé, le regard s’est transfiguré et j’avais devant moi un être plein de fureur et de dégoût. J’étais irrespectueuse, sans vergogne, vulgaire, provocante, franchement une salope. Mon tort ? avoir laissé ma main sur sa cuisse (enfin moi j’aurais dit le genoux) pendant que le professeur lui parlait. C’était indécent et inadéquat. Je ne m’en étais pas rendu compte et encore aujourd’hui je trouve la réaction totalement disproportionnée.

    De même il m’accusait régulièrement de regarder, de sourire ou de faire des œillades aux autres hommes. D’être trop familière avec tel ami ou tel camarade.

    En parallèle, il n’avait de cesse que de me reprocher de ne pas prendre d’initiative, de ne pas le désirer assez, de ne pas oser assez. Il voulait que nous regardions des films X pour me décoincer, faire tomber mes tabous, faire de moi une vraie amante, digne des meilleures maitresses.

    J’étais donc l’étrange mélange entre une salope dévergondée et une frigide trop coincée…

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