• Chronique d'une obscurité annoncée (3)

    Pour le raconter lui, il me faudra du temps. Du temps et plusieurs essais assurément. Quand je repense à notre histoire, à notre mariage, ce n’est jamais linéaire. Les images et les souvenirs se bousculent, se croisent et s’entrechoquent. J’essaie de me souvenir aussi du bon, mais le pire est prédominant. Il est ma plus belle illusion et mes plus grandes désillusions. Il est probablement celui que j’ai le plus aimé, le plus mal aimé, celui qui est détenteur d’un amour aveugle et qui n’avait pas compris grand-chose. Pourtant, il est un amour sans bornes, sans limites, totalement déraisonnable. De la déraison il m’en aura fallu, pour m’y précipiter, m’y accrocher et m’y emprisonner jour après jour.

    La première fois que je l’ai vu, c’était au lycée professionnel. Je débutais mon année de BTS. Je n’avais avant lui connu personne, enfin pas vraiment. J’avais bien fricoté avec un garçon lors de la soirée de bizutage. Je ne me souviens même pas de son prénom. Brun, les cheveux bouclés, plein d’assurance et en deuxième année.  Il m’avait raccompagnée, écoutait The police et m’aurait bien tirée sur sa banquette arrière. Mais, vierge et inexpérimentée je lui avais bien dit que je n’envisageais pas ma première fois de la sorte. Il avait ravalé sa frustration, en était resté là. Nous en étions restés là. Plus de son, plus d’image et je ne crois même pas l’avoir recroisé un jour. Mais cela m’avait quand même rassurée. Je pouvais être avec un garçon, je pouvais toucher et être touchée. Je me sentais libérée de ma panoplie de gourde coincée.

    Ce matin-là en sortant en récréation, du haut de la plate-forme des escaliers, un groupe de personnes m’a interpellée. A droite, dans ce groupe, il était là. Cheveux châtain foncé, mi-longs, veste moutarde, jeans et un petit foulard noué autour du cou. Assez dandy, d’une certaine manière. Un peu BCBG peut-être mais avec un large sourire. Mes jambes se sont dérobées et j’ai cru tomber, ratant une marche. Je me suis approchée du groupe. Ça m’a fait sourire car ils parlaient de Casimir. Il faut savoir de moi, que je suis restée bloquée sur les animés et autres programmes de mon enfance. Alors que ce garçon rayonnant soit en plus en train de discuter de ce sujet, je me suis dit : « banco ! il est parfait pour toi. » Comme quoi, le destin, le coup de foudre, ça ne tient à rien. Vraiment à pas grand-chose. Je dois avouer que je l’ai voulu ce garçon ! Je m’en veux aujourd’hui, d’avoir fait des pieds et des mains pour qu’il me remarque. Je m’en veux de l’avoir coincé un jour dans les couloirs pour lui adresser la parole. Je m’en veux d’avoir demandé qu’on sorte ensemble un soir pour faire connaissance. Cette soirée pour autant reste un très chouette souvenir. Les Dubliners, bar fermé depuis. Ambiance irlandaise, groupe de musique, petite table dans un coin, Irish coffee, lumières tamisées… nous avons beaucoup discuté, nous avons ri, nous avons vraiment passé un excellent moment. En sortant nous nous sommes embrassés. C’était le début d’une histoire qui durera vingt ans, qui perdure aujourd’hui sous une autre forme. Toute une vie, presque toute ma vie, et qui continue d’agir encore aujourd’hui dans ma vie.

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