• Chronique d'une obscurité annoncée (2)

    Au-delà de la réalité violente, il y avait une autre violence dans ma vie. Plus perverse, discrète. Mais, c’est celle qui m’a le plus affectée. Bizarrement, étant relativement protégée de la violence environnementale, cette violence me frappait de plein fouet, en plein cœur. Tout autant que la peur s’est imprimée en moi comme environnement « normal », cette violence émotionnelle est devenue le mode de communication et de relation interpersonnelle quotidien. Symboliquement, je n’ai créé aucun autre référent relationnel que le rejet, l’animosité, les reproches et les remises en question.  Toute mon enfance est marquée par des regards de dégoûts, de réprimandes, de négativité. J’ai grandi avec une injonction qui sonnait comme une accusation et comme une condamnation : « tu es comme ton père ».

    Ma grand-mère maternelle je crois, m’a toujours détestée. Et ma mère n’a jamais eu de cesse de dire combien elle m’aimait mais, cet amour avait un prix que je n’ai jamais su payer. Elle m’aimait : elle m’élevait, m’éduquait, me nourrissait, m’habillait, bref, elle subvenait à tous mes besoins matériels. Certes, il n’y avait aucun luxe, nous n’avions pas les moyens et bien souvent cette pauvreté m’a blessée. Je nourris d’aussi loin que je m’en souvienne une rage incommensurable contre les injustices sociales et les différences de classes. D’autant que la plupart de mes amies étaient d’un niveau social bien supérieur au mien. J’avais donc sous les yeux, tout ce que je n’avais pas et ce qui ne m’était pas destiné. C’est la troisième violence dans laquelle je me suis construite. Mais j’y reviendrai peut-être plus tard. Pour l’heure, je me souviens surtout des vexations et des limitations qui m’ont été « offertes » de manière répétée par mon entourage. Enfin, essentiellement par ma mère et sa mère. Bien que je ne visse ma grand-mère que cinq semaines par an, son dégoût et son rejet étaient si forts qu’ils m’accompagnaient même en dehors de sa présence. Mes cousines, mes oncles et tantes, mon grand-père me manquaient durant les longs mois que je considérais comme un exil, mais ma grand-mère, pas du tout. Pourtant j’aurais bien enduré tous les mauvais moments pour pouvoir vivre en Espagne.

    Enfin venons-en à ma mère. Et en préambule, je tiens à dire que je n’ai plus ni rancœur, ni colère envers elle. J’ai ressenti tout cela un temps et il me reste de la nostalgie et de la tristesse, des espoirs déçus. Aujourd’hui je sais qu’elle n’a fait que comme elle a pu. Elle n’aurait pas su faire autrement, de toute façon. Toutes ses attitudes étaient induites par sa propre histoire, ses propres peurs, ses propres limitations. Elle s’est construite sur des schémas et des croyances qui ne laissent pas de place aux émotions, à la bienveillance ou au dialogue. Pour autant, et bien que je l’explique, j’ai du mal à totalement pardonner. Je comprends, intellectuellement c’est acquis, mais émotionnellement je reste à vif. Ma mère est d’ailleurs une des seules personnes qui parvient à me mettre en colère par sa seule présence, ses regards, ses non-dits, ses jugements silencieux mais réels ou ses remarques.

    Ma mère ne sait pas dire ce qu’il y a de bien. Elle est incapable de dire des choses positives. Même quand on lui demande de citer deux ou trois choses qui lui ont fait plaisir dans la journée elle n’en trouve que péniblement une, et jamais de manière spontanée. Autant dire que les compliments étaient rares, pour ne pas dire inexistants. Je me souviens surtout des remarques : trop grosse pour la danse, pas assez gracieuse, pas coquette (mais la seule coquetterie d’une femme est de sentir le savon, merci les injonctions contradictoire), pas féminine (mais ne cherchons pas à plaire car les garçons sont tous des salauds), ressemblant à une sorcière à cause de mes cheveux trop indisciplinés, trop gueularde, trop contestatrice, pas assez travailleuse, trop rêveuse, trop ceci, pas assez cela etc. etc.

    Ma mère a ancré en moi la certitude qu’on peut aimer tout en disant des méchancetés, en dévalorisant, en humiliant. Tout était en place pour l’épisode à venir. Si on rajoute à cela, les tabous sur le corps et les malaises liés à la sexualité et même tout simplement aux relations amoureuses, je n’avais aucune chance de créer des rapports interpersonnels équilibrés.

    J’ai par ailleurs développé les croyances que j’étais inadaptée, mal dégrossie, trop grosse, pas jolie, et pas éduquée voire pas éducable. Pire que tout, je me suis persuadée que je n’étais pas digne d’amour.

    Tout pour faire un beau mariage en somme ….

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