• Chronique d'une obscurité annoncée (15)

    Je vivais alors comme un automate. Je ne vivais pas, je faisais en sorte de fonctionner au mieux. Toute mon énergie était tournée vers mes enfants et pour le reste … je faisais au mieux, puisque dire au moins pire n’est pas correct. Et pourtant, cette expression serait plus proche de la réalité. Ce qui est terrible c’est qu’à force de me traiter d’obèse, finalement je l’étais devenu. Je m’en veux de lui avoir donné raison sur ce point, sur d’autres certainement aussi. Je me sentais démunie et incapable. J’étais convaincue et je le reste bien trop souvent, de ne faire que des mauvais choix, de ne savoir rien faire par moi-même, d’être limitée. Le sentiment d’inadaptation est devenu encore plus grand. Je souffrais tellement, tout le temps, et sans espoir de changement que j’avais l’impression d’être morte vivante. La terreur d’une séparation et de ne pas m’en sortir financièrement, qu’on me prenne mes enfants étaient un cauchemar éveillé. Pendant un temps je l’avoue, je n’ai rien vu d’autre que la mort mais pour moi cela m’était interdit. Non pas que je redoute la mort, je l’espère et la souhaite parfois. Mais, ma mère a déjà dû survivre à mon frère, je ne pouvais pas lui infliger une nouvelle épreuve. Mais, mes filles devraient vivre avec cette blessure à vif, certainement ce sentiment d’abandon et avec le venin de leur père comme seule nourriture pour grandir. D’autant que, j’en suis certaine, il aurait fait en sorte de répudier ma mémoire et de m’effacer autant que possible de leur vie. Bref, le suicide n’était pas à l’ordre du jour. D’autant plus que c’est exactement ce qu’il attendait et qu’il me restait une étincelle de ressources pour y résister.

    Par contre, il me vint l’envie furieuse de fomenter le crime parfait. Je cherchais désespérément un poison qui ne laisse pas de trace évidente. Je me renseignais sur les plantes toxiques dans notre jardin. Je demandais même à ma sœur, travaillant dans un hôpital, de me fournir une drogue quelconque. Je ne vous cache pas que sa réaction fut des plus violentes ! Elle me menaçait alors d’appeler les urgences psychiatriques de ma région.

    Je m’enfonçais dans un trou béant d’angoisse et de mal-être. Mon cerveau ne fonctionnait plus très bien je crois, embué par la tristesse et la peur omniprésentes.

    Cet été-là je décidais de partir en Bretagne pour les deux mois complets. Je n’en pouvais plus de rester dans cette maison qui était devenue une prison, bien que dorée par l’aspect matériel, terriblement douloureuse et destructrice. La perspective de passer du temps dans ma famille me remontait le moral. Il me fit un scandale quand je repoussais mon départ. Je n’avais pas reçu le lecteur de DVD de voiture que j’avais commandé et ne voulais pas faire les dix heures de route avec les enfants sans moyen de les occuper un moment. A mon retour je comprendrai que ce contre-temps l’empêchait de recevoir… Il s’était surement fait une fête à l’idée de passer tout le mois de juillet en amoureux et je retardais ce moment libérateur pour lui aussi.

    En tout cas, passer un mois chez ma sœur me fit le plus grand bien. J’avais l’impression de revivre, loin de mes soucis, loin des tensions, loin de lui. Je passais des semaines merveilleuses avec mes filles, je perdais du poids et j’avais l’impression de redevenir moi-même, un peu.

    La date des retrouvailles approchait et l’angoisse revenait avec force au fur et à mesure. Je pleurais à la seule idée de me retrouver avec lui dans sa famille pour les quelques semaines qu’il devait passer en Bretagne.

    Ce qui précipita ma décision, je crois, fut un appel. Une de nos « amies » m’appela durant mes vacances pour me dire qu’elle avait conscience que cela allait mal avec Yves. Je pense qu’il s’en était ouvert à ses amis lors d’une escapade qu’ils avaient faite entre garçons. Elle voulait m’aider et me proposait un week-end entre filles à la rentrée. Je trouvais l’idée sympathique jusqu’à ce qu’elle m’explique ses plans. Les garçons se retrouveraient sur Paris pendant que les filles et les enfants monteraient en Picardie. Je devais aller chez le coiffeur et l’esthéticienne. Non pas pour me faire du bien, mais pour me rendre plus attractive aux yeux de mon époux. Ensuite, nous devions nettoyer et ranger la maison de fond en comble pour prouver à mon mari que je voulais faire des efforts dans la tenue de notre foyer. Mes bras m’en sont tombés ! J’étais outrée ! Qu’elle prétende m’aider en allant dans le sens de mon bourreau ! Qu’elle ne voit dans la situation que les fautes qu’il me reprochait sans chercher à savoir ce qui me rendait si incapable de m’épanouir ! Qu’elle me demande encore de faire des efforts pour lui alors même qu’il me martyrisait au quotidien ! C’en était trop ! Je me révoltais, je refusais de subir encore et encore ! Je refusais mon traitement et l’aveuglement de notre entourage. Enfin, je relevais la tête et m’arque boutais face à ce destin. Je décidais que c’en était assez, que je ne subirai plus de la sorte. J’appelais mon mari et lui annonçais que passer les vacances avec lui et sa famille était au-dessus de mes forces. Je lui laisserais les enfants pendant son séjour mais je ne l’accompagnerais pas. Suite à cela j’eus droit à une séance de « sondage » et de cadrage avec ma belle-mère, s’inquiétant de mes intentions et notamment redoutant que je ne plume son pauvre fils. Je n’ose vous dire combien ce moment fut pénible et à nouveau choquant tant par la nature des propos que par leur aspect déplacé.

    Par contre, après cela et contre toute attente, je dois l’avouer, mon corps se remit à palpiter, mon cœur à battre et mon esprit s’enflammer. Je n’étais donc pas totalement morte ! Non . Un jeune homme allait me bouleverser, allait changer ma vision du monde, allait ouvrir une brèche dans un océan de brouillard.

    Deux jours avant le départ de mes filles, je décidais d’aller faire un tour en bateau avec elles. Sur ce bâtiment il était là. Mon cœur s’est arrêté un instant lorsque je l’ai vu, puis il s’est mis à battre la chamade, mon estomac s’est noué mais cette fois, et depuis longtemps, ce n’était pas d’angoisse. Je fus subjuguée. Autant, si ce n’est plus, que lorsque j’avais croisé ce jeune homme dans la cour d’école. Depuis lui, personne ne m’avait fait un tel effet. Il a allumé des guirlandes dans mon esprit, dans mes yeux. Je passais une bonne partie de la croisière à le guetter, à l’observer, à l’admirer. Qu’il était beau ! Quel sourire ! Et ses yeux verts que je découvris dans un rayon de soleil ! Bouleversée je le fus au point que de devoir quitter le bateau m’en devint douloureux. Je voulais lui parler, je devais le connaître mais je devais partir. D’autant que j’étais avec mes filles et absolument certaine qu’il me rejetterait.

    En rentrant chez ma sœur j’étais émoustillée comme une adolescente. Comme si le fait d’avoir enfin trouvé la force de m’opposer à mon mari m’avait libérée, m’ouvrait les yeux sur un monde nouveau. Je découvrais que la femme en moi n’était pas aussi momifiée que je le croyais. Peut-être alors pouvais-je croire en une résurrection, en un possible, en un autrement.

    Une nouvelle page se tournait, j’entrevoyais la fin de ce tome et pouvais m’imaginer ouvrir un nouveau chapitre dans ma vie…

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